Je les vois mais sans les voir. Ou plutôt si, je les vois très bien. Ces gens qui semblent flotter autour de moi. Ces gens qui sourient, qui stressent, qui grimacent, qui cherchent, qui s’interrogent, qui observent, qui comparent.
Je me fonds dans la masse et les regarde d’un peu plus près. Comme je les plains. Ca me ferait presque sourire. Je les plains tous de faire comme si ils étaient heureux, comme si tout allait bien.
Je regarde cette femme à l’automne de sa vie qui persiste à s’acheter des bas sexy alors que ses jambes sont marbrées de violet à travers ses résilles. J’observe du coin de l’œil cet homme chauve qui furète à travers la dentelle vaporeuse à la recherche d’un cadeau pour sa femme. Ou pour sa maitresse.
Je plains aussi ce jeune homme en rouge, posé là pour nous rendre service. C’est écrit dans son dos d’ailleurs « A votre service ». Lui je le plains plus que les autres. Il sourit bêtement, presque naturellement. S’est-il levé un matin en se disant « tient je veux faire ce métier » ?. Non je ne pense pas. Il a surement atterri là parce qu’il a raté une étape dans sa vie. L’étape études. Mais il sourit et ça me donne envie de lui mettre une claque ou même pire.
S’en rende-t-il comte tous ces gens, comme je les plains et comme ils me font pitié ?
Se rende-t-il compte que je ne suis pas comme eux ? Que je suis différente ?
Je flotte parmi eux mais je ne suis pas comme eux.
Moi je n’ai pas de sourire sur mes lèvres à l’idée de m’offrir une cocotte minute, pas de regard interrogateur à choisir entre du coca normal ou du coca light, pas de plaisir à m’offrir un string en dentelle noire plutôt qu’une culotte en coton blanc, pas de bonheur à choisir mon pain.
Non moi je suis vide, ailleurs. Et je flotte.
Moi rien ne me touche, rien ne me surprend. Je n’ai rien d’autre à faire que les plaindre derrière leurs airs faussement souriant. Je les crois pas, ils mentent. Ils ne peuvent pas être joyeux, gais. Ils ne sont riens. Rien du tout. Ils sont misérables et je les déteste. Presque autant que je me déteste moi.
Je déteste ma façon de pousser ce chariot, je déteste ma façon de ranger les articles dans ce chariot, je déteste ma façon de déambuler dans ce magasin de façon si calculée, je déteste avoir à rendre un sourire à cette dame qui s’excuse de m’avoir bousculée, je déteste ma façon de me tordre les mains en attendant que cette conne veuille bien peser mes courgettes. Mais le pire c’est que je hais ma façon d’insérer ma carte bleue dans cette machine. Je déteste cet air désinvolte que je prends à ce moment là, comme si ce n’était rien, comme si ce n’était pas mon argent, comme si je n’étais pas concerné.
Et je plains aussi cette idiote de caissière qui a atterri ici parce qu’elle n’est capable de rien d’autre. Son bonjour mécanique me donne froid dans le dos. Je regarde ses mains et je les trouve moche. Ses ongles rongés me dégoutent et je frissonne à l’idée qu’elle touche mes produits.
Je sors de là en apnée. Le vent du soir me gifle le visage et j’adore ça. Je respire, je reprends mon souffle. Ce souffle qui me brule les poumons. Mes yeux vers le ciel, je souris. Peut être pour la première fois de la journée. Je rentre chez moi en pensant au vide qui m’attend. Pourtant j’ai acheté du champagne et 2 parts de tartes aux fraises. L’illusion, le vide, le néant, la tristesse et l’indifférence, rien d’autre dans ma vie pourtant. Des tartes qui finiront à la poubelle, du champagne rangé dans un placard pour l’éternité.
Poussière sur cette planète, je ne suis rien d’autre.
Et pourtant, l’espace de quelques minutes, dans ce temple de la consommation, je me suis senti être. Je me suis sentie vivante. L’espace de quelques minutes peut être que j’ai vécu, que j’ai existé.
Accueil 
Dim 4 Mar - 23:01
