On ne pourra pas dire que j’ai géré les minutes qui ont suivi cette nouvelle assez surprenante. Mon rendez vous avec David Jost était déjà pris pour le lendemain matin. Une première prise de contact avec le staff. Mes jours de repos after-tour étaient foutus, il était temps que je planche sur ce que j’allais proposer à ces allemands. Karen s’était occupée de tout. Tout était prévu.
Le sourire revint peu à peu sur mes lèvres au fur et à mesure que Karen me briefa sur les façons de bosser du management germanique. Je commençais à me rendre compte de ma folle chance, du fabuleux challenge que Michel me servait sur un plateau d’argent. La pression tomba d’un coup et je vis les choses sous un angle nouveau.
J’allais gérer, j’allais diriger.
Je serais assistante mais j’aurais toutes les clés en mains, je devrais m’imposer, et décider.
Et exercer ma langue natale me procurerait un certain plaisir. Il y avait si longtemps que je n’avais pas pu parler avec des allemands plus de quelques minutes.
Karen et moi nous nous enfermâmes dans mon bureau et commença une longue liste de points à éclaircir.
L’après midi passa à une allure folle.
Je rentrais chez moi vers 23h. Marielle sur le canapé m’attendait regardant la télé sans le son, une de ses habitudes.
Jetant mon manteau sur le meuble dans l’entrée je courus lui sauter dans les bras. Nos retrouvailles étaient toujours joyeuses et tendres, même quand je partais seulement 2 jours.
- Mais t’étais où ? Tu n’étais pas censée rentrer à midi ?
- Oh ma Marielle si tu savais ce que je viens d’apprendre. J’en suis encore toute chamboulée.
- Quoi ? Tu vas faire la tournée de Placebo ? Razorlight ? Les Stones ?
- Non arrête, Placebo c’est inaccessible tu le sais bien, ils ont leur équipe.
Fermant les yeux et fourrant mes doigts dans mes cheveux je souriais aux anges.
- Putain Sab explique moi !!
Je me retournais vers elle lentement avec ce sourire que je ne quitterais pas pendant plusieurs semaines.
- Je pars en tournée avec les Tokio Hotel pendant 2 mois pour leurs dates françaises. Tu te rends compte ? Avec eux, dans le bus, à l’hôtel, pendant les concerts, itw, dédicaces. Je serais là tout le temps avec eux. Moi !!!!
- Les quoi ?
- Marielle !!!! Les Tokio Hotel, ces jeunes allemands qui cartonnent partout dans le monde !!!
- Ceux que tu écoutes à fond et qui nous proposes de crier aussi fort que l’on peut ?
Je partis d’un grand fou rire.
- Oui Marielle c’est eux, et la chanson dont tu parles c’est Schrei. Non mais tu te rends compte ?
Non, visiblement Marielle ne se rendait pas bien compte, tout comme pour les Kaiser Chief. C’est à peine si elle connaissait Muse.
Me levant du canapé, je baissais le volume de la télé, et mis en route la chaine hi fi.
- Tokio Hotel Marielle !!
Je mis la chanson Der letzte tag à fond et prenant la main de Marielle, j’entrepris de lui transmettre ma joie en l’entrainant dans une danse délirante de débilité.
8h30, j’avale un second verre de jus d’orange et je retourne dans mon bureau avec mes photocopies sous le bras.
Une liste vertigineuse de salles de concerts, de fournisseurs divers.
Dans une demi-heure David sera là et je me sentais plutôt calme. Michel l’était beaucoup moins et se sentait tendu car il ne comprendrait rien à notre conversation, son allemand se limitant à bonjour et au revoir.
J’avais bien entendu soignée ma tenue aujourd’hui. J’avais opté pour un pantacourt noir descendant à peine au dessous du genou, un haut noir moulant, assez décolleté. Mes bottes préférées, les motardes noires avec les boucles sur le coté. Mes colliers entassés autour de mon cou, mes bracelets qui tintaient à chacun de mes mouvements et une mitaine en résille fine à ma main droite. Une grande queue de cheval volontairement négligée pour un effet naturel. Mes yeux noircis au fard gris, mes joues rosées et mes lèvres glossées avec un rouge transparent. Une touche de mon parfum fétiche.
J’en étais à mon 2nd paquet de chewing gum. Ne fumant pas, ne buvant ni café, ni thé, je me rabattais sur ces petites boules qui craquaient sous les dents et me donner mal à la mâchoire à force de ruminer. Je me faisais l’effet d’une vache mâchouillant sa touffe d’herbe.
9h00. La sonnerie de l’interphone tinta. Mon cœur se mit à battre la chamade mais je maitrisais chaque partie de mon corps, je ne laissais rien apparaitre de mon stress. Pour rien au monde. Je refermais mon dossier déjà bien épais.
Des voix se firent entendre dans le hall et respirant un grand coup je fis mon entrée.
3 hommes étaient là. Je reconnus immédiatement David. Un très bel homme d’une trentaine d’année, au visage viril et séduisant. Le deuxième plus petit et trapu, était plus âgé. Sa bedaine débordant de son pantalon à pinces en disait long sur sa gourmandise. Le 3e je le reconnus aussi tout de suite, il s’agissait de François, le DA d’Universal.
Me voyant arriver vers eux, ils se retournèrent ensemble et m’accueillirent avec un sourire.
De mon visage le plus détendu et souriant je leurs tendis ma main gantée en leur souhaitant la bienvenue chez Sing Events, dans un allemand parfait.
Travailler avec des hommes avaient cet avantage là. Ils étaient toujours agréablement surpris de traiter avec une femme et se laisser plus facilement convaincre ou guider. Un sourire innocent ou un battement de cil faussement naturel et ils étaient vaincus.
Une fois dans mon bureau et m’ayant félicité sur mon allemand parfait, nous commençâmes à parler boulot.
Ils avaient compris que je serais leur assistante mobile et n’avait émis aucune objection, c’était déjà ça. Au contraire David se montra content de ma « nomination ».
- Les garçons seront ravis de votre compagnie jeune et souriante.
En prononçant ces quelques mots il chercha l’approbation de son associé, qui confirma d’un grand signe de tête enjoué.
Michel et François se sentant mal à l’aise dans une conversation où ils pigeaient que dalle ; allèrent s’enfermer dans le bureau de Michel.
Seule avec ces deux messieurs, il était temps d’entre dans le vif du sujet. Parle en allemand me fut naturel et je pris plaisir à étaler mon vocabulaire bien fourni.
Le premier sujet abordé fut le choix des salles. Moment important car les réservations devaient se faire des mois à l’avance.
Ce fut rapidement chose faite. Munie de mon impressionnante liste, les salles furent choisies. Ce serait des zéniths ou des Aréna. Leur ambition était de réunir le maximum de fans, la demande était importante. Pas d’Arénas en France, ce fut donc des zéniths.
11 dates, 11 salles.
Tout d’abord Paris et là ce fut facile de proposer Bercy et ses 20 000 places. La date fut fixée en début de tournée soit, le 7 janvier 2008. Je commençais à paniquer à l’idée des réservations à venir. Il fallait se dépêcher, les délais étaient courts. Je m’affolais rien qu’en y songeant et je me préparais mentalement à réquisitionner Karen pour m’occuper de ça dès le départ des germaniques.
La tournée hexagonale se décida dans le sens des aiguilles d’une montre. La seconde date fut donc le zénith de Lille le 9 janvier. Suivi le zénith de Nancy, le 12 janvier, le zénith de Lyon le 15, le Dôme de Marseille le17, le zénith de Montpellier le 20, le zénith de Toulouse le 22, la Patinoire de Bordeaux le 25, le zénith de Caen le 27, le zénith de Nantes le 1er février. Puis pause jusqu’au 15 février histoire d’enchainer les nombreuses itw avec les radios (NRJ et Europe 2), les sites web (une demie-douzaines selectionnées par Universal), les rédacteurs de magazines (Salut, Girl, Dream’up, Salut, Rock One, Les Inrockuptibles, Star etc…). Des shooting photos étaient aussi prévus en nombres. Et enfin un show case privé au Réservoir à Paris et une séance dédicaces au Virgin des Champs Elysées. Entre temps les boss accorderaient 5 jours aux garçons, histoire de souffler entre deux.
Le 17 février la tournée reprendrait pour se terminer par un concert acoustique à l’AB, en ancienne Belgique.
Suivrait ensuite une tournée européenne mais là s’arrêtait mon boulot.
Nous avons parlés à bâtons rompus, nous interrompant seulement pour commander à Zara des cafés, des carafes d’eau. Les portables avaient été coupés et c’est avec stupéfaction que je vis 13h15 sur ma montre quand je me rappelais que j’en portais une.
Zara se risqua à nous interrompre pour nous proposer de quoi nous restaurer. David refusa poliment et m’annonça qu’il était temps pour eux de repartir, les garçons devant assumer quelques itw en Allemagne l’après midi même. Un jet attendait les deux producteurs pour les ramener vers leurs terres. Ils voulaient être présents. Laisser les garçons seuls trop longtemps les inquietaient.
Ce fut avec de grands sourires confiants que David et Dave me quittèrent non sans m’avoir félicité pour ma patience, mon professionnalisme, mon sérieux et mon dynamisme. Mes chevilles devenaient douloureuses… Ils se disaient ravis de notre prochaine collaboration et me laissèrent tout un tas de documents sur le Tourbus, la restauration (les garçons avaient des exigences en la matière) et tous les petits détails.
Ils me souhaitèrent une bonne journée et me rappellèrent mon indispensable présence le samedi suivant lors de la soirée Universal. Il était important de faire rapidement la connaissance du groupe.
La porte refermée, mes épaules tombèrent et je soufflais un grand coup.
C’était fini, je m’en étais sorti à merveille. J’étais fière de moi.