Rue de Marguerite de Valois, dans le 7e.
J’ai une bonne heure d’avance, comme d’habitude. Mais plus possible de rester une minute de plus à me ronger les sangs, dans le petit appart de mon frère.
Je regarde autour de moi et je choisi d’aller boire un coca dans le petit troquet à 2m de moi.
Il fait sombre à l’intérieur. Sombre mais chaud. Ce matin de février est glacial, mais j’aime cette saison, et c’est le premier hiver que je passe loin de ma ville natale. Mon premier hiver à Paris.
Assise sur ma banquette, je scrute d’un œil attentif, cet endroit qui va devenir mon lieu de travail, cet endroit que je vais fréquenter chaque jour. Juste en face.
Une rue assez discrète, discrète mais assez cossue. Une rue où peu de passants s’aventurent car elle ne mène à rien. Non, les beaux quartiers, les jolies rues sont un peu plus loin. Celle-ci avec son architecture d’un autre siècle ne semble pas intéresser grand monde.
Singers prend à elle toute seule pas moins d’une demi-douzaine d’entrée. Rien ne laisse transparaitre le faste de cette maison de disque. Au contraire n’importe quel touriste lambda n’y verrait que du feu.
Une devanture discrète, 3 agents de sécurité « armés » de leur chien, des arbustes taillés en boule à chaque extrémité. Des vitres fumées, et le logo discrètement affiché sur une plaque couleur or.
-Bonjour Mademoiselle, qu’est-ce que je vous sers ?
Je me retourne interrompue dans mes pensées. Un charmant serveur tout blond avec des petites taches de rousseur sur les joues me sourit.
-Un coca light s’il vous plait.
Je retourne vers ma fenêtre.
Quelques personnes sortent de Singers. Les gens assis en face de moi chuchotent à voix haute :
-Qui c’est ?
-Je sais pas on dirait Yannick Noah nan ?
-Han ouais c’est lui, mon dieu…
- Comme il est beau! Mais il est plus grand en vrai nan?
Je les entends glousser comme des pies.
-La plupart viennent ici rien que pour ça. Nous sommes très bien placé n’est-ce pas ?
Le serveur pendant ses explications, pose un verre et me verse le coca jusqu’à rabord.
Je lui réponds par un sourire silencieux.
Oh zut ils mettent toujours cette rondelle de citron que je déteste. Le coca avec du citron, quel drôle d’assemblage.
Les pies derrière moi, continuent de se raconter des histoires de stars vues ou aperçues.
Un œil sur ma montre, pfff le temps n’avance pas.
En sirotant mon coca, je me remémore mon arrivée à Paris, 15 jours auparavant.
Avec mes 2 énormes valises je suis arrivée à Paris Orly toute euphorique. Il faisait un froid glacial mais rien n’aurait pu m’ôter mon sourire et ma joie de me retrouver ici. J'aime Paris. J'aime l'ambiance de cette ville où chaque coin de rue raconte une histoire, l'histoire de France.
Mon frère et ma belle sœur m’ont accueillit mieux que jamais dans leur minuscule 2 pièces de 14e. Ils s’étaient mis en tête que mon débarquement parisien était sans nul doute, du à leurs harcèlement et ils semblaient assez fiers de leur pouvoir de persuasion.
Ils m’ont gentiment prêté leur chambre et tant bien que mal je me suis installée. Mes valises ouvertes, mais pas défaites. Mon besoin d'indépendance pouvait à tout moment refaire surface.
Deux jours après j’avais mon premier rendez-vous avec Monsieur JORET, le recruteur de Singers qui me recevait à son bureau et non directement chez Singers. Son bureau situé dans le 16e était installé dans l’un des ses immenses immeubles Haussmannien. Un bureau cossu, au design très recherché. L’endroit d'une blancheur immaculée était très intimidant mais il en fallait bien plus pour me gâcher cette journée.
Monsieur JORET était un petit gros au crâne dégarni dont les yeux rieurs étaient cachés derrière des lunettes dont la monture était une vraie curiosité. Des lunettes aérodynamiques.
Son sourire semblait sincère et son accueil fut très aimable.
Après m’avoir fait patienter en salle d’attente, la jeune et jolie hôtesse d’accueil me fit entrer dans un grand bureau. Tout semblait fait de verre, du gigantesque bureau, à tous les objets affichés sur de grandes étagères.
Même les chaises ressemblaient à du verre, et la fraicheur glacée s'en dégageant me fit me tenir bien droite tout le long de l'entretien.
A mon entrée il se leva et me tendit une main franche, puis il me proposa de m’asseoir.
Son assistante l’appela et en s’excusant il s’absenta quelques secondes. Quelques secondes pour vérifier ma tenue vestimentaire. Un pantalon noir et une chemise joliment cintrée de couleur blanche. Mes cheveux réunis en un chignon bas sur la nuque et un maquillage discret mais soigné.
A son retour on entra directement dans le vif du sujet. Il me félicita d’avoir réussi à décrocher ce job, et se montrait ravi pour moi. Puis il commença à m’énumérer mes fonctions principales.
Tout d’abord je serais sous l’autorité de Monsieur CIRIS, le responsable des ventes. Rarement présent, ce Monsieur se reposait entièrement sur moi et ma collaboratrice. Celle-ci se prénommait Katie et était chez Singers depuis de nombreuses années. Elle avait changé de poste très souvent car son envie de « bouger » était l’un de ses signes particuliers. Katie était chargée de « l’international », en fait elle gérait les ventes des artistes sous le label Singers à l’étranger. Elle faisait le relais entre Singers et USA, London et Paris.
Mon rôle à moi sera celui en charge des ventes pour les artistes français. Jusqu’ici c’était la charge de Madeleine. Mais Madeleine partait à la retraite le mois prochain et il fallait d’urgence la remplacer.
Mes horaires étaient souples et il suffisait que je répartisse mes 8h quotidiennes de la façon dont je le souhaitais. Le tout était que je sois à l’heure le lundi matin à 9h précises pour la « réunion ».
Cette réunion consiste au débriefing des ventes de la semaine passée et au briefing de la semaine à venir. Le tout devant être rapporté en 1h voire 2h maxi et ce devant les managers, directeurs artistiques ou quelquefois même, devant les artistes eux-mêmes.
J’avais aussi la charge de tous les revendeurs de disques Fnac, Mégastores etc., de la section Sud. A moi de réapprovisionner et de demander des comptes quotidiennement quant aux ventes effectuées la veille.
Je serais également en charge de procéder à la remise des disques d’or ou autres. Que je ne remettrais pas moi-même directement mais dont j’aurais la lourde tache de les provoquer une fois l'objectif ventes atteint.
Cet entretien dura 2 bonnes heures sans que je m’en rende compte. Bien entendu il m'expliqua combien Singers était devenue importante ces 20 dernières années et combien d'artistes la peuplaient. Il énuméra entre autres, Sardou, Bashung, Renaud, Foly, Raphael, Benabar, Cali et encore des dizaines d'autres pour les artistes français. Puis Razorlight, Black eyed peas, Placebo, Muse, Keane, Paolo Nutini, pour la filiale étrangère.
Bien entendu Monsieur JORET insista sur le fait que la majorité des meilleurs artistes du moment, étaient chez Singers.
Ce futur boulot me passionnait déjà et quand Monsieur JORET en arriva à la clause salaire, peu m’importait, j'étais déjà conquise.
Une signature au bas de cette page et mon contrat fut signé.
Ce n’est que dans le métro du retour que je lis la ligne renseignant mon salaire. 1785€ net mensuel + des primes sur les ventes.
J’en suis restée bouche bée.
Et me voilà enfin, prête à occuper ce poste dont je rêve chaque nuit. Je sens le stress et l'appréhension me gagner. Mais mon optimisme naturel reprit le dessus.
8h47.
Le temps de payer mon coca et de remettre mon manteau, il sera l’heure d’entrer dans l’immeuble d’en face.
Je me lève et le jeune serveur avec un grand sourire me lance un « à bientôt ».
Le feu est rouge pour moi. Mes yeux sont rivés sur la lourde porte battante et sur cet agent de sécu qui semble monter la garde en filtrant chaque passage.
Me voilà enfin.
- Bonjour.
- Bonjour mademoiselle, que puis-je faire pour vous ?
Il me barre le chemin, et me toise d’un œil moqueur. Ses cheveux coupés très courts et sa chemise blanche dépassant de son manteau bleu marine ne m’impressionne guère.
- Je suis la nouvelle assistante des ventes. Je commence ce matin.
- Votre nom s’il vous plait ?
- Sabrina R….
Il se tourne légèrement et parle dans son talkie walkie, demande à son interlocuteur si ma petite personne est bien attendue.
D’un air satisfait, il se retourne vers moi.
- Je vous en prie mademoiselle. Soyez la bienvenue chez Singers.
D’un geste de la main il me montre la direction à prendre.
La lourde porte se ferme derrière moi.
Un grand comptoir d’accueil se présente, la musique d’ambiance est prévisible et quelques notes de Lyane Foly s’élève dans le grand hall. Je me présente au comptoir, et derrière un imposant bureau de couleur claire, une petite jeune femme toute ronde mais jolie comme un cœur me sourit en me voyant avancer vers elle.
- Mademoiselle R… ? Bonjour et bienvenue chez Singers. Je suis Charlène, je suis la réceptioniste et standardiste. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, il faudra vous adresser à moi.
Je vous ai préparé votre badge, accrochez le où vous voulez mais ne le perdez pas. Il vous servira pour les SAS et pour la cantine. On vous attend là-haut, 3e étage directement à gauche. Maryline, l'hôtesse du 3e vous guidera. Bonne journée Sabrina.
Cette fille est gracieuse au possible, elle est exactement faite pour ce boulot.
Mon badge accroché à ma chemise je me dirige vers l’un des ascenseurs en jetant des coups d’œil autour de moi. Le hall est désert.
"Veuillez insérez votre badge"
Cling.
L’ascenseur s’ouvre. Une grande cabine recouvert de velours rouge, où quelques affiches de concert se partagent la petite surface. Razorlight en concert au Réservoir le 19 février, Keane à l'Olympia le 23, Placebo à Bercy le 28 mars et Raphael à la Cigale le 5 mai.
Une légère musique, du Raphael anime le court trajet.
J'appuie sur le bouton et l'ascenceur commence son ascension. Mes jambes tremblotent et mon coeur accelère la cadence.
3e étage, les portes s'ouvrent. Me voilà entrée dans ma nouvelle vie.
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Dim 10 Déc - 23:09
